mardi 25 mars 2014

Milan AC, un monument en péril

Club européen le plus titré, le Milan AC n'est plus que l'ombre de lui-même depuis plusieurs mois. Empêtré dans des problèmes économiques, traversant une crise politique sans précédent, le club dirigé de Berlusconi semble en perdition totale. La situation milanaise n'est cependant pas un hasard, et trouve son explication dans les nombreux choix étonnants qu'a réalisés le club depuis des années. Analyse.

Kakà, symbole de deux Milan.


Il fut un temps où le simple fait d'évoquer le Milan AC renvoyait à une image de classe, de prestige, et faisait saliver tous les joueurs de football ainsi que les amoureux de ce sport. Ce temps semble révolu. La "magie" qui entourait ce club, son histoire, ses victoires et même ses défaites mémorables, comme celle subie un soir de mai 2005 dans le Stade Olympique Atatürk d'Istanbul face à Liverpool, en finale de Champion's League, s'est envolée, disparue. Triple finaliste de la compétition reine en Europe durant les années 2000, le Milan AC ne risque pas de la retrouver de sitôt. Les causes de cette terrible régression sont diverses et variées, et trouvent leurs origines dans une gestion calamiteuse de l'effectif, des finances, mais aussi de l'histoire de ce club.



Les prémices d'un changement de cap



8 juin 2009. Le dernier Ballon d'Or rossoneri s'envole vers d'autres cieux. Kakà, après six années de bons et loyaux services, rejoint le Real Madrid pour 68 millions d'euros. Plus que le transfert d'un immense joueur, le Milan AC a perdu ce jour, son image de club classe et raffiné. L'équipe est toujours compétitive, garnie de joueurs avec un palmarès étoffé, mais vient de perdre son seul joueur dans la force de l'âge, capable de tenir à bout de bras un si grand club.

Le Brésilien n'est pas le seul à laisser Milan derrière lui. Carlo Ancelotti, au club depuis 2001 et avec qui il a tout gagné, part du côté de Londres pour entraîner Chelsea. Avec ces départs, le Milan AC perd plus que deux hommes, il perd deux leaders, deux monstres qui caractérisaient le succès du club. Il serait tout de même réducteur de justifier un possible déclin par le départ de ces deux personnages.

Alors qu'ils étaient au sommet de l'Europe en 2007, le club lombard a vu son parcours s'arrêter brusquement en huitièmes de finale de la Champion's League face à la jeune équipe d'Arsenal en 2007/2008, avant d'être relégué dans en seconde division européenne en jouant la Coupe de l'UEFA lors de la saison 2008/2009, aux côtés de l'Udinese et de la Sampdoria. Reculer pour mieux sauter? Pas si sûr. Les transferts qui entourent le club vont dans ce sens: Senderos, Abate, Antonini, Flamini, et même Cissokho, le temps d'une visite médicale qui échoue, portent l'écusson du club. Le début d'une nouvelle ère diront certains. D'autres y verront le début d'une régression.

Leonardo, symbole du club, prend la succession d'Ancelotti. Un choix étonnant, car le Brésilien n'a aucune expérience à ce poste. La saison est mitigée, Milan termine tout de même sur le podium, à une dizaine de points de la Roma et de l'intouchable Inter, qui réalise le triplé en 2009/2010. Milan vit mal le succès du club voisin, et comprend qu'il est nécessaire de mettre la main à la poche malgré les problèmes financiers, pour redorer le blason du club.


Ancelotti, double vainqueur de la Champion's League avec le Milan AC.


Ibrahimovic et Thiago Silva, les arbres qui cachent la forêt



Berlusconi et Galliani réalisent le gros coup à la fin du mois d'août 2010. En difficulté au Barca, Zlatan Ibrahimovic rejoint le Milan AC, son troisième club en Italie. Avec ce transfert, le Milan AC tient une valeur sûre, un joueur capable de remettre le club sur les bons rails. Robinho et Boateng, tous deux auteurs d'un beau Mondial sud-africain, rejoignent eux aussi le navire rouge et noir.

Ibrahimovic s'impose d'emblée comme le patron de l'équipe. Il réalise une belle saison en inscrivant 14 buts et délivrant 14 passes décisives, réalisant l'exploit de faire marquer des joueurs qui ne marquaient pas beaucoup jusque-là. Robinho et Pato terminent eux aussi à 14 buts, le Milan AC s'était trouvé des leaders techniques, trouvant un équilibre entre les lignes. Thiago Silva montre un niveau qu'on ne lui connaissait pas, le milieu Pirlo-Gattuso retrouve de sa superbe, l'attaque est efficace, Milan gagne le titre facilement, une première depuis 2004, une éternité pour un tel club.

La saison suivante est à l'image de la précédente. Le Milan AC joue les premiers rôles, il est un acteur majeur du championnat italien et retrouve un niveau acceptable en Europe. Le club élimine Arsenal en huitièmes et retrouve les quarts de finale de Champion's League, une première depuis quatre ans, eux qui s'étaient fait corriger en huitièmes (2-3, 0-4), par Manchester United en 2009/2010, et éliminés par Tottenham (0-1, 0-0), la saison précédente. Ils tombent en quarts face au FC Barcelone en ayant montré de belles choses.

En championnat, le club perd le titre à la 37ème journée au profit de la Juventus, qui redevenait le club qu'il était et qu'il doit être, performance en partie due aux prouesses de sa star suédoise, auteur de 28 buts en championnat, son record personnel. L'attaquant milanais a tiré son équipe vers le haut, réussissant à délivrer une dizaine de passes décisives, la plupart vers Nocerino qui a atteint les 10 buts en championnat. Thiago Silva a lui aussi montré qu'il était un défenseur de classe mondiale, tenant la baraque derrière. Les deux joueurs sont les symboles d'une équipe qui a retrouvé le goût de la victoire et les premiers rôles. Mais cette situation est de courte durée, les Milanais ne pouvant pas les retenir, à cause de leurs salaires et de leurs valeurs. Ils sont transférés vers le PSG pour environ 70 millions d'euros. Un mal pour un bien?

Les supporteurs milanais doivent se gratter la tête lorsqu'ils voient Ibrahimovic et Thiago Silva avec le PSG...

Le tournant de l'été 2012



L'énorme somme que rapporte le transfert des deux stars de l'équipe vers le PSG sert à renflouer les caisses du club et non à reconstruire une équipe compétitive. En plus d'Ibrahimovic et Thiago Silva, d'autres joueurs s'en vont, et non des moindres. Quatre légendes du club, qui ont fait les beaux jours du Milan AC, quittent le navire: Clarence Seedorf s'en va à Botafogo, Alessandro Nesta à l'Impact Montréal, Gennaro Gattuso vers Sion et Filippo Inzaghi prend sa retraite. Mark Van Bommel six mois après son arrivée, Gianluca Zambrotta, Antonio Cassano, Alberto Aquilani, sont les autres joueurs majeurs qui partent du Milan AC.

Ces départs, plus que la volonté d'économiser des gros salaires, posent les problèmes de la porte de sortie réservée aux "dinosaures" de la maison. Maldini, qui s'est retiré en 2009, n'a aucun rôle au sein de l'organigramme, chose étonnante pour une personne qui a consacré sa vie au club. Le départ d'Andrea Pirlo pour la Juventus la saison précédente est un autre signe de ce mal qui colle au club quand il s'agît de préparer la succession des cadres, de "remercier" les anciens.

Le Milan AC perd plus que des joueurs talentueux et des compétiteurs. Il perd aussi les tauliers du vestiaire, ceux qui maintenaient le club à flot et qui renvoyaient aux succès lombards sur la scène continentale. Plus d'une équipe complète part, quasiment tous les meilleurs joueurs d'un coup, c'est beaucoup trop pour une seule équipe. Là où le bât blesse, c'est que les nouveaux arrivés au club ne sont pas ceux que l'on attend. Seul Riccardo Montolivo est un nom et semble avoir le niveau pour évoluer dans un tel club.


Ibrahimovic, Seedorf, Pato, Thiago Silva, Cassano, Van Bommel, Gattuso, Inzaghi, Nesta, Zambrotta... même pour Milan, c'est beaucoup trop d'un coup.


Faire du neuf avec du vieux: le pari raté des dirigeants milanais



Au niveau des transferts notables et autres que ceux de joueurs "moyens", le Milan AC a pris l'habitude de vouloir relancer d'anciennes légendes, dans le souci de garder une image prestigieuse. Ronaldo est le premier exemple de cette stratégie. Malgré de bons débuts, il se blesse rapidement et ne peut pas justifier son transfert comme il le pouvait. Sur le déclin, le Brésilien laisse un souvenir mitigé du côté de Milan. Dans le même genre, le retour d'Andriy Schevchenko est catastrophique. L'Ukrainien n'est plus au niveau et n'a pas le même rendement que lors de son premier passage. Ronaldinho, après cinq belles années au Barca, est intermittent et ne retrouve pas son niveau d'antan.

Alexandre Pato est le seul "jeune joueur" pioché par le Milan AC qui donne l'impression de donner un nouvel élan au club, mais ses blessures à répétition sont un handicap et il ne confirme pas les espoirs placés en lui. L'échec de Pato du côté de l'Italie est une des raisons qui explique la situation actuelle du Milan AC, car il avait toutes les cartes en main pour devenir un des tous meilleurs attaquants du monde et ainsi renouveler le cycle des grands joueurs qui sont passés au club, et qui se sont inscrit sur la durée.

Au lieu de ça, le club collectionne les joueurs qui ont une valeur intéressante mais pas au niveau de leurs prédécesseurs. Giampaolo Pazzini, lui aussi vu comme un des tous meilleurs à son poste en Italie, ne confirme pas. Sa pige à l'Inter ne se passe comme prévu et Milan donne une nouvelle fois l'impression de vouloir "recycler" des joueurs. Alessandro Matri est dans le même cas, lui qui n'a jamais eu sa place à la Juventus, n'a pas tenu quatre mois du côté de Milan avant de partir du côté de Florence. Milan ne sent plus les coups et perd du temps avec des plus transferts plus farfelus les uns que les autres. Kakà, de retour dans le club qui l'a révélé, tient un peu plus la corde que les joueurs précédemment cités, mais comme un malheur ne vient jamais seul...

Les Ballon d'Or 2004 et 2005 sous le même maillot.


Une inversion des valeurs préjudiciable


Si le problème du Milan AC ne résidait que dans le fait de vouloir remettre sur pieds les anciennes gloires ou des joueurs qu'on pense bons et dans la fleur de l'âge, ce ne serait pas si grave. Le club est allé plus loin dans sa volonté de reconstruire, mais malheureusement, les bonnes volontés ne suffisent pas. Une succession de transferts aussi incompréhensibles les uns que les autres, ternit et écorne l'image du club.

Les années où Berlusconi sortait les billets sont révolues. Milan doit faire dans le low-cost, et pour le coup, ou le coût, au choix, les choix sont très discutables. Les dirigeants se tournent vers les joueurs en fin de contrat, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils n'ont pas eu le nez très creux. La Ligue 1 est un des championnats vers lequel le club rossonero se tourne. Bakaye Traoré et Taye Taïwo rejoignent l'Italie. Sans vouloir remettre en cause le professionnalisme de ces joueurs, jamais ils n'auraient pu poser un pied à Milanello si Milan était le club qu'il était encore au milieu des années 2000.

Ces deux joueurs, rapidement prêtés un peu partout à travers l'Europe, sont deux exemples parmi tant d'autres, dans une liste très longue: Mexes n'est pas le défenseur qu'il était à la Roma lorsqu'il est venu de l'AJ Auxerre, et a coûté de nombreux buts à son club dans les matchs à enjeu, obligeant Nesta à reprendre du service alors qu'il traîne des blessures récurrentes, la signature d'Adil Rami est aussi un choix étonnant, le Français montrant un niveau moyen dernièrement à Valence. Constant, Zapata, Mesbah, Bojan, Didac, Onyewu sont autant de joueurs qui prouvent à quel point le club milanais n'a plus le même niveau d'exigence qu'à une certaine époque.

Pire encore, le Milan AC se trouve des leaders qui ne doivent pas en être. Costacurta, Rui Costa, Maldini semblent être de lointains souvenirs. Ce sont Taarabt, Niang et Balotelli qui ont pris la relève. Ces joueurs sont doués techniquement, mais sont symptomatiques du virage désastreux qu'a pris le Milan AC dans sa politique de recrutement. Balotelli, accueilli comme une star, à l'instar du Japonais Honda, ne devrait pas être le leader technique et "charismatique" d'un club comme Milan, pas après avoir eu des attaquants comme Schevchenko, Inzaghi ou Crespo il y a peu. Cette inversion complète des valeurs du club témoigne d'un état critique qui ne risque pas de s'arranger si la sonnette d'alarme n'est pas tirée.


Le nouveau Milan AC.


Clarence Seedorf, symbole du marasme lombard



Alors qu'il s'était fait un nom en Italie suite au sacre du Milan AC lors de la saison 2010/2011, Massimiliano Allegri n'a pas confirmé. Lui aussi donne l'impression d'avoir "surfé" sur la vague Ibrahimovic, qui a tiré le club vers le haut, mais qui avec son départ, l'a précipité dans un gouffre. L'ancien entraîneur de Cagliari a vu ses performances à la tête du club se dégrader au fur et à mesure que le temps passe, dès lors que les cadres du club sont partis. La gestion du cas Pirlo est un caillou qui est longtemps resté dans sa chaussure et qu'il a traîné comme un boulet jusqu'à son éviction, au début de l'année 2014.

Alors qu'Inzaghi était annoncé pour reprendre les rênes du club, les dirigeants contactent une autre légende milanaise, Clarence Seedorf. Le Néerlandais met un terme à sa carrière de footballeur en se libérant de son contrat avec Botafogo. Seedorf, c'est un nom, ça a "de la gueule", c'est un homme de la maison, mais le timing paraît tout de même assez serré. Est-ce le meilleur choix pour sortir Milan de cette situation compliquée? Les avis sont partagés. Même s'il connaît le club parfaitement et qu'il incarne le club à travers son nom, son histoire et son aura, il n'est pas assez solide pour supporter toute cette pression.

Milan est dans une crise telle qu'il faut un entraîneur qui sait terminer les saisons pour espérer redémarrer et redécoller dès la saison prochaine. Seedorf n'a pas d'expérience dans le métier et manque d'envergure pour ce poste. L'équipe ne tourne pas, il n'y a pas de leaders, Kakà, abonné aux blessures et au banc au Real Madrid, doit se sublimer pour éviter le ridicule et est coopté pour un rôle qui ne devrait pas être le sien. Le choix de Seedorf comme entraîneur a tout d'une erreur, un choix prématuré pour un club qui avait besoin d'un vieux briscard capable de limiter la casse. Seedorf aurait été un choix plus judicieux à l'avenir, après avoir fait ses preuves ailleurs. Diriger un tel groupe où les valeurs se perdent, c'est beaucoup trop, même pour quelqu'un qui fait partie intégrante du club. 

La nomination de Seedorf à la tête d'un club malade donne l'effet inverse: non seulement, le Milan AC va de plus en plus mal, et n'a même pas pu montrer qu'il avait "l'ADN européen" en se faisant laminer par l'Atletico, alors qu'il avait encore une infime fibre de cet ADN la saison passée lors du match aller face au FC Barcelone, mais pire encore, l'image d'une figure du club risque de s'abîmer avec les résultats de plus en plus inquiétants, le club jouant la seconde partie de tableau et ne montrant aucun signe de redressement.
De Allegri à Seedorf, une transition difficile.


Miser sur les jeunes, un remède efficace?



Quelles solutions pour le Milan AC? A première vue, il va falloir revoir la politique sportive, avec un remaniement d'effectif obligatoire. La Juventus, qui avait connu une période très difficile pendant le règne de l'Inter, a réussi à inverser la vapeur et à repasser devant les deux clubs de Milan, qui sont à leur tour dans une situation compliquée. La Vieille Dame a procédé par étapes: elle a mis à sa tête un homme à poigne, icône du club et qui a des idées claires, Antonio Conte. L'Italien, après avoir fait ses gammes à l'Atalanta et à Sienne, a pris les commandes d'un club malade et a réussi à faire un recrutement intelligent tout en rappelant les joueurs prêtés comme Matri, Quagliarella, Pepe, Boriello ou Caceres, pour étoffer son groupe.

La Juventus a vu sur le long terme et a développé son centre de formation. Même s'ils ne sont pas à Turin, le club a mis un peu partout en Italie et ailleurs, des joueurs qui leur seront utiles à l'avenir, et qui ont déjà une belle côte: Berardi, Maronne et Simone Zaza à Sassuolo, Leali a Spezia Calcio, Bouy à Hambourg, Boakye à Elche...

Milan n'en est pas encore là. La non-qualification aux coupes d'Europe doit profiter au club. Le club n'a pas le réservoir de jeunes de la Juventus et doit travailler de ce côté-là. Malgré ça, il y a tout de même quelques jeunes joueurs qui ont une côte: Mattia De Sciglio, capable de jouer à droite et à gauche de la défense, est déjà un joueur expérimenté qui a goûté à la sélection. Bryan Cristante et Andrea Petagna, encore très jeunes, offrent de belles perspectives d'avenir, le tout est de savoir s'ils seront bien encadrés et suivront une progression qui leur permettra de devenir rapidement des joueurs sur qui le club pourra compter.

Stephan El Shaarawy, acheté très jeune par le Milan AC, est l'exemple type du joueur qui a fait la grosse saison trop tôt, et qui semble accuser le coup depuis. L'Italien a réalisé six premiers mois de folie avant de connaître un énorme coup de pompe durant la seconde moitié de la saison, du fait de l'accumulation des matchs à enjeu, mais aussi à cause de l'arrivée de Balotelli qui l'a obligé à se décaler. Depuis, le Pharaon ne joue plus, usé par les efforts qu'il a réalisés, trop importants pour un jeune joueur dans un grand club, une chose anormale, alors qu'il devait continuer à progresser en étant encadré comme il l'était lorsqu'il évoluait aux côtés des cadres du vestiaire lors de la saison 2011/2012.

Le Milan AC doit trouver un équilibre entre un recrutement intelligent, la formation de jeunes joueurs et l'accompagnement de ces derniers par des cadres légitimes, autres que ceux qui sont en place. Une chose est sûre, il va falloir un grand chantier à Milan pour retrouver le club qui a fait rêver l'Italie et l'Europe pendant plusieurs décennies.

El Shaarawy, la jeunesse du Milan AC.

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